Né en 1970 à Bangkok (Thaïlande)
Vit et travaille à Bangkok et à Chiang Maï (Thaïlande)
Considéré comme l'un des cinéastes les plus inventifs de notre époque, Apichatpong Weerasethakul occupe pourtant une place singulière dans le paysage du cinéma thaïlandais. Ses films à la beauté étrange s'inspirent du cinéma expérimental occidental – il cite le vidéaste américain Bruce Baillie – tout en mobilisant des thèmes liés au Sud-Est asiatique, comme les fantômes, ou la métempsycose. Attaché à l'indépendance du cinéma en Thaïlande, il a fondé en 1999 sa propre société de production, Kick the Machine. Il a reçu de nombreux prix pour son œuvre, dont la Palme d'or au Festival de Cannes 2010 pour le film Oncle Bonmee (celui qui se souvient de ses vies antérieures).
Apichatpong Weerasethakul est aussi un artiste visuel reconnu. Ses œuvres prolongent les recherches cinématographiques entamées à la fin des années 1990 avec ses courts-métrages. S'y expriment sa passion pour la vidéo amateur, son travail de dissociation de l'image et du son, la fabrication d'une réalité « non linéaire, abstraite et fragmentée1 ». Au-delà d'une simple transposition de son cinéma pour l'espace d'exposition, ses œuvres vidéos explorent la dimension propre de ce mode de monstration en prenant en compte le cheminement du spectateur, les effets de durée, les dimensions sonore et lumineuse. On y retrouve néanmoins des éléments familiers de ses films, tels certains décors, ou la présence de ses acteurs fétiches Jenjira Pongpas-Widner, Sakda Kaewbuadee et Tilda Swinton.
Une manière parmi d'autres d'aborder le travail d'Apichatpong Weerasethakul serait de le considérer sous l'angle du motif. Celui-ci peut être narratif, thématique (le sommeil, les réminiscences et le déjà-vu, la maladie) ou esthétique. Le motif du cadre par exemple, est décliné en vue d'une exploration des limites de celui-ci et de sa tension avec l'écran. Parfois le cadre se trouve à l'intérieur de l'image comme fraction de celle-ci (Blue, 2018) ou en tant qu'élément de décor dynamique (Phantoms of Nabua, 2009), parfois l'image le déborde et vient envahir l'espace d'exposition, en incluant ainsi le spectateur dans le mouvement de la vidéo (Fireworks (Archives), 2014). Cette opération de décadrage s'inscrit dans une démarche de déconstruction des artifices de la production cinématographique, qui se traduit également dans le traitement sonore. Dans Syndroms and a Century on entend les acteurs parler hors-champ, comme s'ils avaient oublié la présence de la caméra. Dans Memoria, les personnages sont derrière une table de mixage et manipulent des bruitages enregistrés. De même, le son du feu dans la vidéo Blue vient envahir de manière disproportionnée l'espace sensible et imaginaire.
En dissociant les différentes dimensions du cinéma (son/image, cadre/mouvement, narration/expérience perceptuelle), Apichatpong Weerasethakul induit l'existence de plans de réalité distincts, se rencontrant parfois, se superposant parfois, entre rêve et conscience, mythe et vie quotidienne. Pour lui, le cinéma et l'image animée ont le pouvoir de faire se succéder, comme sur un décor mobile, une multiplicité de mondes parallèles.
1 Ulrike Kremeier, Apichatpong Weerasethakul, vidéaste. Montreuil : Éditions de l’œil, 2002.